Catégorie : Dépistage
Je vais vous raconter l’histoire (vraie) de Bernard.
C’est le patient d’un médecin généraliste qui exerce près de chez moi.
L’année dernière, comme tous les ans, le médecin de Bernard lui a prescrit un dosage du PSA et lui a fait un toucher rectal dans le but de dépister un cancer de la prostate. Bernard n’avait rien demandé. C’est devenu une habitude. Son ancien généraliste faisait de même.
A 68 ans, Bernard est revenu consulter son médecin avec son résultat de PSA. Il était au dessus de la normale.
Il a été immédiatement adressé à un urologue qui a décidé de lui faire des biopsies de la prostate dans le but d’y déceler des cellules cancéreuses et ainsi , le cas échéant, d’envisager un traitement.
C’est confiant qu’il s’est rendu à sa séance de biopsies quelques semaines plus tard.
Sur la table d’opération, tout s’est bien passé, les biopsies ont été faites.
Bernard est retourné dans sa chambre.
C’est alors qu’Il a senti une douleur dans son mollet gauche qu’il a attribué au fait d’être resté longtemps sur la table d’opération.
En fait Bernard a fait une phlébite.
En se levant des caillots sont remontés jusqu’à ses artères pulmonaires et ont provoqué ce qu’on appelle une embolie pulmonaire massive.
Bernard a été pris en charge en réanimation et mis immédiatement sous anticoagulant (dans le but de dissoudre ces caillots)
Malheureusement, quelques jours plus tard Bernard s’est réveille paralysé du coté gauche.
Les examens ont montré un accident vasculaire cérébral hémorragique probablement aggravé par les anticoagulants qu’il recevait.
Bernard est actuellement en rééducation, il essaie de réapprendre à marcher.
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Pendant ce temps, son urologue est rassuré. Dans le cas de Bernard, aucune cellule cancéreuse n’a été détectée dans les biopsies.
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Le plus triste dans cette histoire c’est que si Bernard avait été correctement informé, il n’aurait probablement pas fait de dépistage de cancer de la prostate.
En effet, si je vous dis :
1- que le taux de PSA peut augmenter sans qu’il y ait de cancer de la prostate. (7 hommes sur 10 avec un PSA augmenté n’ont pas de cancer de la prostate) (1)
2- que le PSA est parfois normal alors qu’il y a bien un cancer de la prostate. (1)
3- qu’il n’est pas démontré que le dépistage du cancer de la prostate permette une diminution de la mortalité globale (pas d’allongement de la durée de vie, pas de différence significative de mortalité globale par rapport à la population non dépistée. Etude du BMJ sur 20 ans, 9000 hommes inclus ; méta-analyses portant sur 340 000 et 390 000 participants au total ; étude du NEJM sur 11 ans, plus de 180 000 hommes inclus) (2)(3)(4)(5)
4- que l’on sait par contre que le dépistage et ses conséquences (complications des biopsies prostatiques, traitements des cancers localisés de la prostate) ont des effets indésirables importants, notamment en terme d’incontinence urinaire (5 à 25 % des patients traités) et de troubles de l’érection (40% à 80 % des patients traités). (1)
5- que la plupart des cancers de la prostate sont d’évolution lente (ils ne provoquent généralement aucun symptôme pendant une dizaine d’année) (1)
6- que le dépistage conduit à traiter un grand nombre d’hommes dont le cancer de la prostate serait passé inaperçu et dont ils n’auraient subi aucune conséquence (c’est le cas de 3 à 8 hommes traités sur 10) (1)
7- que chez les patients âgés d’environ 70 ans, dans la plupart des cas, les décès sont le plus souvent liés à une cause autre que le cancer de la prostate. (1)
8- que pour toutes ces raisons, ce dépistage systématique n’est officiellement pas recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé, la Haute Autorité de Santé française et l’Institut National du Cancer. (6)(7)(8)
9- que l’organisme américain d’évaluation des dépistages (USPSTF) a publié une réévaluation du dépistage du cancer de la prostate à la lumière des travaux scientifiques les plus récents : elle incite les médecins américains à ne plus pratiquer de dosage des PSA dans un but de dépistage. (9)
Bernard aurait-il accepté ce dépistage avec ces informations ?
Rien n’est moins sûr.
La seule chance de Bernard dans cette histoire : Qu’on ne retrouve pas de cellules cancéreuses dans sa prostate. (On lui aurait probablement fait prendre le risque d’être incontinent et/ou impuissant en le traitant, sans grand espoir d’augmenter son espérance de vie !)
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S’il n’y avait qu’un seul message à faire passer dans ce billet, ce serait celui-ci :
Les bénéfices du dépistage du cancer de la prostate sont très incertains mais ses effets indésirables graves sont, par contre, bien connus.
Réfléchissez bien avant d’accepter un dépistage du cancer de la prostate.
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REFERENCES
(1) Prescrire Redaction « PSA et Dépistage des cancers localisés de la prostate » Rev Prescrire 2009 ; 29 (308) : 437-443
(2) Sandblom G et Coll. « Randomized prostate cancer screening trial : 20 year follow up » BMJ 2011 ; 342 : d1539 : 6 pages
(3) Illic D et Coll. « Screening for prostate cancer » (Cochrane Review) In : « The Cochrane Library » John Wiley and Sons, Chichester 2010 , Issue 11 : 59 pages
(4) Djulbegovic M et Coll. « Screening for prostate cancer : systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials » BMJ 2010 ; 341 : c4543 : 9 pages
(5) FH Schröder et Coll. « Prostate-Cancer Mortality at 11 Years of Follow-up » N Engl J Med 2012 ; 366 : 981 – 990
(6) http://screening.iarc.fr/rationale.php?lang=2
(7) http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_961215/la-haute-autorite-de-sante-maintient-ses-recommandations-sur-le-depistage-du-cancer-de-la-prostate
(8) http://www.e-cancer.fr/depistage
(9) http://www.uspreventiveservicestaskforce.org/prostatecancerscreening.htm
NOTES
Pour plus d’information, vous pouvez consulter les pages suivantes chez Dominique Dupagne :
http://www.atoute.org/n/Les-USA-rejettent-definitivement.html
http://www.atoute.org/n/La-prostate-chez-les-Grosses-Tetes.html
http://www.atoute.org/n/Informations-destinees-aux-hommes.html
Voir aussi :
Chez Jaddo (2011)
Chez Gelule (2011)
Chez Docteurdu16 (2012)