Le vrai nom du médicament a été remplacé par un de mon invention, le « Betapourrane Fort »

Je suis alors interne aux urgences.

Je me destine déjà à l’exercice de la médecine générale en cabinet de ville. Mais je dois faire encore quelques stages à l’hôpital avant de finir mes études.

Cela fait un mois que je suis dans ce service.

Je suis satisfait de ce stage, l’ambiance est sympathique, mes chefs sont jeunes. Certains sont même des amis que je croise souvent à la Faculté (ils sont dans une promotion un ou deux ans avant la mienne)

Je m’y sens bien. Le service est dans un petit hôpital de périphérie d’une grande ville.
Il y a beaucoup de travail, mais j’ai connu pire pendant mes gardes d’externe au CHU.

Voilà pour planter le décor.

Un jour, le chef de service nous réunit tous pour nous apprendre une grande nouvelle.

Une jeune et jolie jeune femme est à coté de lui.

Je pense déjà : oh c’est sympa, il nous présente sa fille ? Sa maitresse ? Sa femme ? Une nouvelle interne ? Ah non, elle est en tailleur, décolleté, talons hauts et brushing parfait. Elle n’a pas le look de quelqu’un qui passe ses journées à examiner des malades en blouse blanche.

Non, rien de tout cela.

Avec un grand sourire, le Chef nous annonce fièrement que nous devons, à partir de maintenant, quand il nous faut prescrire un anti-inflammatoire, toujours inscrire sur nos ordonnances le Betapourrane Fort. C’est important. Car la gentille représentante du laboratoire, à coté de lui, a promis des cadeaux et de l’argent pour le service, comprenez : pour la gueule du chef de service.

Tout le monde a l’air de trouver ça merveilleux autour de moi.

Le Betapourrane Fort, je n’en prescris jamais. Et pour cause, ce n’est pas un très bon anti-inflammatoire, il ne marche pas mieux que les autres, mais il a beaucoup d’effets secondaires potentiellement graves.

Je sors de la salle de réunion.

J’ai la nausée.

Je suis en stage chez le praticien (stage chez un généraliste de ville)

Je suis seul aux commandes ce matin.

Rah, la secrétaire a oublié de décommander M. LaboPourri.

Tant pis, je lui accorde 5 minutes.

Il est très jeune, il est nouveau dans la profession de visiteur médical (VM)

Il me présente un nouveau médicament (qui ne se « vend » pas bien), en récitant bien sa leçon.

Je sais qu’il fait un métier difficile et ingrat.

J’attends patiemment qu’il termine son discours, que je n’ai écouté, comme à mon habitude, que d’une oreille distraite. Je lui demande alors, non sans une certaine dose de malice, s’il trouve son nouveau métier intéressant.

Il me répond, et je vous jure que c’est exactement ce qu’il m’a dit :

« Je pensais au départ que mon métier servait à informer honnêtement les médecins sur les médicaments, leurs indications, leurs contre-indications et leurs effets indésirables. Franchement, je suis un peu déçu »

Je suis jeune remplaçant dans le cabinet de celui qui sera, je ne le sais pas encore, mon futur associé.

Il est installé depuis 20 ans, il reçoit, comme beaucoup d’autres médecins, les « Visiteuses médicales ».
Chez lui, c’est trois fois par semaine à 9h00 pile.

Aujourd’hui je le remplace, Il n’a pas annulé le rendez-vous. Il sait pourtant que je n’aime pas ça.

Mme GrosPharma vient me présenter le Superlox, un antibiotique qu’elle dit qu’il est beaucoup mieux que les autres, mais aussi deux autres médicaments qu’elle présente à chaque fois.

Nous nous sommes déjà rencontrés dans un autre cabinet, elle m’a déjà présenté le Superlox quelques mois avant.

Nous en avons déjà discuté, pour moi le Superlox, c’est de la merde c’est un médicament à ne pas prescrire. Un antibiotique qui ne marche pas mieux que les autres mais avec des effets secondaires cardiaques graves.

Elle met en doute, purement et simplement, mes affirmations, en insistant par la même occasion sur le fait que le comprimé est facile à avaler, une seule fois par jour.

Je sais bien qu’elle me ment. J’ai la Revue Prescrire sous les yeux avec les références bibliographiques des études qui prouvent ce que j’affirme.

Elle vend son produit, comme un commercial de supermarché. C’est son boulot.
Je n’insiste pas, c’est peine perdue.

Elle me parle ensuite de ses deux autres médicaments.

Je l’arrête brutalement dans son élan : « Mais vous ne pouvez pas me présenter autre chose que ces deux médicaments ? »

Et là, elle me répond, la peur dans son regard : « Ah mais non ! Cela fait 15 ans que je présente ces deux médicaments, je ne vais pas changer maintenant ! »


Je n’ai plus jamais reçu de VM, en remplacement ou ailleurs.
Je lis la Revue Prescrire, je me forme de façon indépendante.
Ceci est le premier billet de mon blog.
Je m’appelle Dr Stéphane
Bonjour

Publié dans BigPharma, Médecine, Mes petites histoires.

59 Commentaires

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