Au début, j’ai adoré mon stage d’externe en psychiatrie.
Parce que c’était bien carré.
Avec des symptômes psychiatriques à retrouver (façon oeufs de Pâques)
Des associations de symptômes qui formaient des syndromes.
Et pour finir, une classification bien carrée pour faire rentrer des syndromes bien carrés dans des cases bien carrées. (le DSM IV, ils appelaient ça)
Les observations étaient super structurées et complètes (très complètes) : mode vie, histoire familiale, situation familiale, fratrie, antécédents psychiatriques, biographie (par exemple « la jeune Nadine M. est née un soir d’hiver 1963 « ) etc …
Les diagnostics étaient faciles à poser (car déjà connus pour la plupart, c’est toujours plus simple quand on sait quoi trouver)
Pour les traitements, pareil, facile, à chaque pathologie du DSM IV son remède.
Tout bien carré et tout, je vous dis.
Un bonheur pour un obsessionnel comme moi.
Je trouvais ça formidable.
Hum …
A la réflexion, et avec le recul, je ne suis pas bien sûr que la psychiatrie se résume au DSM IV et à des traitements psychotropes. Mais bon, c’est l’image que ce stage m’a laissé.
Bref, tout ça pour vous situer le contexte :
Un stage pour apprendre les symptômes et les pathologies psychiatriques comme dans les livres mais pas vraiment le stage où tu apprends à palper une thyroïde.
En gros, c’était le pire endroit pour apprendre l’examen clinique. D’ailleurs, la plupart des chefs de clinique qui y travaillaient (ceux qui sont sensés apprendre des choses aux étudiants en médecine) n’avaient pas touché un stéthoscope ou un marteau à réflexes depuis des années.
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C’est donc dans une logique toute administrative qu’un étudiant en médecine a été affecté dans le service de psychiatrie où j’étais externe pour son stage de « sémiologie » (stage pour les « pas encore externes » de DCEM1 qui viennent d’apprendre les bases de l’examen clinique mais qui n’ont pas encore vraiment touché du malade, histoire de les mettre dans le bain). Avec un chef désigné pour lui apprendre les bases de l’examen clinique, sur le terrain, sur un patient vivant et tout. (je parle de l’examen physique, pas de l’interrogatoire, ni de la sémiologie psychiatrique …)
Vous me voyez venir.
Le chef, devant cette situation un peu embarrassante, prenant son courage à deux mains, m’a demandé de faire son boulot de m’occuper du nouveau stagiaire et de l’entrainer à l’examen clinique sur « euh voyons … ah la dame là dans le couloir qui crie et qui saute sur une jambe toute la journée ».
Joie.
Cette dame (dont je ne m’étais jamais occupé, elle n’était pas « dans mes lits ») était là depuis plusieurs mois, sous traitement psychiatrique relativement lourd, enfin, juste histoire qu’elle ne crie pas trop fort dans le couloir, mais qu’elle ne tombe pas en sautant sur une jambe non plus. (enfin bref)
Je me revoie encore expliquer à ce gentil stagiaire l’examen neuro, les paires crâniennes, les réflexes, l’auscultation, la percussion, la palpation sur cette non moins gentille dame.
« -Il n’y a pas un problème là, au niveau de son abdomen ? qu’il me dit.
-Je vais regarder … Ah oui, dis-donc, il y a une grosse masse là au milieu. »
On a dû rester une bonne heure à examiner cette patiente.
On a découvert une masse abdominale, probablement là depuis bien longtemps, très certainement bien avant qu’elle n’entre dans le service de psychiatrie …
On a fait une superbe observation clinique, très détaillée. Et on est allé voir le chef.
Il a changé de couleur, a pris son téléphone et a transféré la patiente dans le service de médecine tout proche.
Ça devait être un vendredi.
Le lundi suivant, le chef nous a accueilli, moi et le stagiaire, comme des héros. Très content de nous, vraiment, on lui a « sauvé la mise sur ce coup là » qu’il nous a dit.
J’ai alors lancé un timide « Et comment va la patiente ? »
Il m’a répondu « Elle est décédée ce WE dans le service d’à côté, c’est formidable, elle n’est pas décédée chez nous. » (sous-entendu, ça ne va pas pourrir les statistiques du service)
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