Catégorie : #PrivésDeDeserts
J’ai eu envie d’arrêter médecine, vraiment.
Passer mes journées à apprendre bêtement mes cours pour les recracher le plus fidèlement possible.
Penser « points à l’Internat » plutôt que « utile pour ma future pratique »
J’ai eu envie d’arrêter médecine, vraiment.
Cette médecine des hôpitaux, c’est là où nous sommes sensés tout apprendre, si souvent protocolisée à l’extrême, peu respectueuse des patients, infantilisante, écrasante, méprisante parfois. Déshumanisée.
Je n’ai connu que ça jusqu’à l’internat.
J’ai eu envie d’arrêter médecine, vraiment.
D’abord externe, secrétaire de luxe passant mes matinées à ranger, classer, faire des trous dans des feuilles de résultats biologiques pour les mettre dans des classeurs.
Éplucher, le plus souvent seul, les dossiers des entrants. Examiner encore seul les patients, leur poser des questions.
Voir ses chefs se battre pour devenir Calife à la place du Calife, lécher les botes de leurs supérieurs, y perdre leur âme parfois.
Avoir pour seule perspective d’avenir que de suivre ce modèle, à l’hôpital.
J’ai eu envie d’arrêter médecine, vraiment.
Et en toile de fond, sournoisement, tout au long des études, cette idée nauséabonde qu’en dehors des spécialités, qu’en dehors de l’hôpital, on ne peut pas faire de la bonne médecine.
J’y ai même cru, putain.
Jusque dans les cas cliniques que l’on nous proposait pour tester nos connaissances, il y avait toujours le généraliste-qui-a-fait-une-bêtise, qui s’est trompé de diagnostic, qui a prescrit le mauvais médicament. Des questions de type « Que pensez vous de la prise en charge du médecin traitant ? » aux réponses obligatoires du genre « Il a fait n’importe quoi ».
Il y avait aussi quelques Grands Professeurs Spécialistes qui ne trouvaient rien de mieux, pour nous « motiver » que de nous dire :
« Si vous continuez comme ça vous allez finir généraliste ! » (et je ne suis pas le seul à le dire)
J’ai eu envie d’arrêter médecine, vraiment.
Je n’ai pas été suffisamment bien classé au concours de l’internat pour faire autre chose que de la médecine générale.
Et j’ai eu envie d’arrêter médecine, vraiment.
Devenir interne, pour n’avoir que plus de responsabilités, (j’ai heureusement beaucoup appris par moi-même) Faire tourner les services.
Devoir se battre, faire grève (j’en étais) pour imposer dans la loi le repos de sécurité après une garde. (Le repos après 24h de travail non-stop) Et voir bien des années plus tard, les internes se battre à nouveau pour son application systématique.
J’ai eu envie d’arrêter médecine, vraiment.
Et enfin, en 7eme année (en 7eme année putain), découvrir la médecine générale.
La découvrir vraiment, en stage dans un cabinet de généraliste.
Dés les premières jours réaliser la chance qui a été la mienne de rater le concours.
Découvrir une médecine de qualité (en tout cas, qui n’a rien à voir avec les horreurs que l’on a toujours voulu me faire croire à l’hôpital … )
Oui, de qualité, car il m’a fallu attendre tout ce temps pour qu’un maître de stage, généraliste libéral, commence à me parler d’EBM, qu’il me fasse découvrir la Revue Prescrire.
Au contact de mes maîtres de stage, j’ai appris à ne pas prescrire sans réfléchir, en particulier des médicaments dangereux utilisés par beaucoup et depuis retirés du marché.
J’ai appris à ne pas recevoir les visiteurs médicaux, et à me former de façon indépendante.
J’ai appris à découvrir une médecine proche des gens, loin de tout ce qui m’avait profondément déplu à l’hôpital.
Et tellement d’autres choses.
Et tellement d’autres gens.
Je ne regrette pas d’avoir fait médecine.
Mais comme je le disais l’autre jour à Marisol,
j’ai failli tout arrêter, vraiment.
Faute d’avoir rencontré plus tôt la médecine générale.
Et ça aurait été vraiment dommage.
Médecine Générale 2.0
Les propositions des médecins généralistes blogueurs pour faire renaître la médecine générale
Comment sauver la médecine générale en France et assurer des soins primaires de qualité répartis sur le territoire ? Chacun semble avoir un avis sur ce sujet, d’autant plus tranché qu’il est éloigné des réalités du terrain.
Nous, médecins généralistes blogueurs, acteurs d’un « monde de la santé 2.0 », nous nous reconnaissons mal dans les positions émanant des diverses structures officielles qui, bien souvent, se contentent de défendre leur pré carré et s’arc-boutent sur les ordres établis.
A l’heure où les discussions concernant l’avenir de la médecine générale font la une des médias, nous avons souhaité prendre position et constituer une force de proposition.
Conscients des enjeux et des impératifs qui sont devant nous, héritages d’erreurs passées, nous ne souhaitons pas nous dérober à nos responsabilités. Pas plus que nous ne souhaitons laisser le monopole de la parole à d’autres.
Notre ambition est de délivrer à nos patients des soins primaires de qualité, dans le respect de l’éthique qui doit guider notre exercice, et au meilleur coût pour les budgets sociaux. Nous souhaitons faire du bon travail, continuer à aimer notre métier, et surtout le faire aimer aux générations futures de médecins pour lui permettre de perdurer.
Nous pensons que c’est possible.
Sortir du modèle centré sur l’hôpital
La réforme de 1958 a lancé l’hôpital universitaire moderne. C’était une bonne chose qui a permis à la médecine française d’atteindre l’excellence, reconnue internationalement.
Pour autant, l’exercice libéral s’est trouvé marginalisé, privé d’enseignants, coupé des étudiants en médecine. En 50 ans, l’idée que l’hôpital doit être le lieu quasi unique de l’enseignement médical s’est ancrée dans les esprits. Les universitaires en poste actuellement n’ont pas connu d’autre environnement.
L’exercice hospitalier et salarié est ainsi devenu une norme, un modèle unique pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus l’exercice libéral qu’ils n’ont jamais rencontré pendant leurs études.
C’est une profonde anomalie qui explique en grande partie nos difficultés actuelles.
Cet hospitalo-centrisme a eu d’autres conséquences dramatiques :
– Les médecins généralistes (MG) n’étant pas présents à l’hôpital n’ont eu accès que tout récemment et très partiellement à la formation des étudiants destinés à leur succéder.
– Les budgets universitaires dédiés à la MG sont ridicules en regard des effectifs à former.
– Lors des négociations conventionnelles successives depuis 1989, les spécialistes formés à l’hôpital ont obtenu l’accès exclusif aux dépassements d’honoraires créés en 1980, au détriment des généralistes contraints de se contenter d’honoraires conventionnels bloqués.
Pour casser cette dynamique mortifère pour la médecine générale, il nous semble nécessaire de réformer profondément la formation initiale des étudiants en médecine.
Cette réforme aura un double effet :
– Rendre ses lettres de noblesse à la médecine « de ville » et attirer les étudiants vers ce mode d’exercice.
– Apporter des effectifs importants de médecins immédiatement opérationnels dans les zones sous-médicalisées.
Il n’est pas question dans ces propositions de mesures coercitives aussi injustes qu’inapplicables contraignant de jeunes médecins à s’installer dans des secteurs déterminés par une tutelle sanitaire.
Nous faisons l’analyse que toute mesure visant à obliger les jeunes MG à s’installer en zone déficitaire aurait un effet majeur de repoussoir. Elle ne ferait qu’accentuer la désaffection pour la médecine générale, poussant les jeunes générations vers des offres salariées (nombreuses), voire vers un exercice à l’étranger.
C’est au contraire une véritable réflexion sur l’avenir de notre système de santé solidaire que nous souhaitons mener. Il s’agit d’un rattrapage accéléré d’erreurs considérables commises avec la complicité passive de confrères plus âgés, dont certains voudraient désormais en faire payer le prix aux jeunes générations.
Idées-forces
Les idées qui sous-tendent notre proposition sont résumées ci-dessous, elles seront détaillées ensuite.
Elles sont applicables rapidement.
1) Construction par les collectivités locales ou les ARS de 1000 maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) qui deviennent aussi des maisons médicales de garde pour la permanence des soins, en étroite collaboration avec les professionnels de santé locaux.
2) Décentralisation universitaire qui rééquilibre la ville par rapport à l’hôpital : les MSP se voient attribuer un statut universitaire et hébergent des externes, des internes et des chefs de clinique. Elles deviennent des MUSt : Maisons Universitaires de Santé qui constituent l’équivalent du CHU pour la médecine de ville.
3) Attractivité de ces MUSt pour les médecins seniors qui acceptent de s’y installer et d’y enseigner : statut d’enseignant universitaire avec rémunération spécifique fondée sur une part salariée majoritaire et une part proportionnelle à l’activité.
4) Création d’un nouveau métier de la santé : “Agent de gestion et d’interfaçage de MUSt” (AGI). Ces agents polyvalents assurent la gestion de la MUSt, les rapports avec les ARS et l’Université, la facturation des actes et les tiers payants. De façon générale, les AGI gèrent toute l’activité administrative liée aux MUSt et à son activité de soin. Ce métier est distinct de celui de la secrétaire médicale de la MUSt.
1) 1000 Maisons Universitaires de Santé
–
Le chiffre paraît énorme, et pourtant… Dans le cadre d’un appel d’offres national, le coût unitaire d’une MUSt ne dépassera pas le million d’euros (1000 m2. Coût 900 €/m2)
Le foncier sera fourni gratuitement par les communes ou les intercommunalités mises en compétition pour recevoir la MUSt. Il leur sera d’ailleurs demandé en sus de fournir des logements à prix très réduit pour les étudiants en stage dans la MUSt. Certains centres de santé municipaux déficitaires pourront être convertis en MUSt.
Au final, la construction de ces 1000 MUSt ne devrait pas coûter plus cher que la vaccination antigrippale de 2009 ou 5 ans de prescriptions de médicaments (inutiles) contre la maladie d’Alzheimer. C’est donc possible, pour ne pas dire facile.
Une MUSt est appelée à recevoir des médecins généralistes et des paramédicaux. La surface non utilisée par l’activité de soin universitaire peut être louée à d’autres professions de santé qui ne font pas partie administrativement de la MUSt (autres médecins spécialistes, dentiste, laboratoire d’analyse, cabinet de radiologie…). Ces MUSt deviennent de véritables pôles de santé urbains et ruraux.
Le concept de MUSt fait déjà l’objet d’expérimentations, dans le 94 notamment, il n’y a donc rien d’utopique.
2) L’université dans la ville
–
Le personnel médical qui fera fonctionner ces MUSt sera constitué en grande partie d’internes et de médecins en post-internat :
· Des internes en médecine générale pour deux de leurs semestres qu’ils passaient jusqu’ici à l’hôpital. Leur cursus comportera donc 2 semestres en MUSt, 1 semestre chez le praticien et 3 semestres hospitaliers. Ils seront rémunérés par l’ARS, subrogée dans le paiement des honoraires facturés aux patients qui permettront de couvrir une partie de leur rémunération. Le coût global de ces internes pour les ARS sera donc très inférieur à leur coût hospitalier du fait des honoraires perçus.
· De chefs de clinique universitaire de médecine générale (CCUMG), postes à créer en nombre pour rattraper le retard pris sur les autres spécialités. Le plus simple est d’attribuer proportionnellement à la médecine générale autant de postes de CCU ou assimilés qu’aux autres spécialités (un poste pour deux internes), soit un minimum de 3000 postes (1500 postes renouvelés chaque année). La durée de ce clinicat est de deux ans, ce qui garantira la présence d’au moins deux CCUMG par MUSt. Comme les autres chefs de clinique, ces CCUMG sont rémunérés à la fois par l’éducation nationale (part enseignante) et par l’ARS, qui reçoit en retour les honoraires liés aux soins délivrés. Ils bénéficient des mêmes rémunérations moyennes, prérogatives et avantages que les CCU hospitaliers.
Il pourrait être souhaitable que leur revenu comprenne une base salariée majoritaire, mais aussi une part variable dépendant de l’activité (par exemple, 20 % du montant des actes pratiqués) comme cela se pratique dans de nombreux dispensaires avec un impact significatif sur la productivité des consultants.
· Des externes pour leur premier stage de DCEM3, tel que prévu par les textes et non appliqué faute de structure d’accueil. Leur modeste rémunération sera versée par l’ARS. Ils ne peuvent pas facturer d’actes mais participent à l’activité et à la productivité des internes et des CCUMG.
· De médecins seniors au statut mixte : les MG libéro-universitaires. Ils ont le choix d’être rémunérés par l’ARS, subrogée dans la perception de leurs honoraires (avec une part variable liée à l’activité) ou de fonctionner comme des libéraux exclusifs pour leur activité de soin. Une deuxième rémunération universitaire s’ajoute à la précédente, liée à leur fonction d’encadrement et d’enseignement. Du fait de l’importance de la présence de ces CCUMG pour lutter contre les déserts médicaux, leur rémunération universitaire pourra être financée par des budgets extérieurs à l’éducation nationale ou par des compensations entre ministères.
Au-delà de la nouveauté que représentent les MUSt, il nous paraît nécessaire, sur le long terme, de repenser l’organisation du cursus des études médicales sur un plan géographique en favorisant au maximum la décentralisation hors CHU, aussi bien des stages que des enseignements.
En effet, comment ne pas comprendre qu’un jeune médecin qui a passé une dizaine d’années dans sa ville de faculté et y a construit une vie familiale et amicale ne souhaite pas bien souvent y rester ?
Une telle organisation existe déjà, par exemple, pour les écoles infirmières, garantissant une couverture assez harmonieuse de tout le territoire par cette profession, et les nouvelles technologies permettent d’ores et déjà, de manière simple et peu onéreuse, cette décentralisation pour tous les enseignements théoriques.
3) Incitation plutôt que coercition : des salaires aux enchères
–
Le choix de la MUSt pour le bref stage de ville obligatoire des DCEM3 se fait par ordre alphabétique avec tirage au sort du premier à choisir, c’est la seule affectation qui présente une composante coercitive.
Le choix de la MUSt pour les chefs de clinique et les internes se pratique sur le principe de l’enchère : au salaire de base égal au SMIC