Archives du mois de mars 2012

Eté 2003 juste avant la canicule.
Je suis interne dans un SAU (Service d’Accueil des Urgences) d’un hôpital de périphérie.

Le genre de SAU où l’on reçoit tout le monde, même les enfants, alors qu’il n’y a pas de pédiatrie ni de pédiatre sur place.

Elle est accompagnée de sa mère.

Elle est toute timide, elle ne parle presque pas.

Elle a 12 ans à tout casser.

Mais elle a un gros ventre.
Le genre de gros ventre qu’ont les femmes enceintes.

Quand elle entre dans le service des urgences, tout le monde pense la même chose et personne ne dit rien.

L’infirmière l’installe dans un box d’examen.

C’est à moi de m’en occuper, je viens de renvoyer à la maison ma 6eme entorse de cheville de la journée. (Une spécialité locale)

Je discute avec elle en présence de sa mère.

-Bonjour, qu’est ce qui vous amène ?
-Je vous amène ma fille qui a mal au ventre depuis trois jours.
-Hmm …Depuis quand votre fille a un gros ventre comme ça ? »
-Oh ça fait bien plusieurs mois !!!
-…
-…
-Comment tu t’appelles ?
-Julie
-Et tu as mal où dis-moi ?
-J’ai mal là [grands gestes qui incluent l’ensemble de l’abdomen … c’est un classique, mais ça n’avance pas à grand chose]

Je l’examine, elle a en effet un gros ventre typique de femme enceinte, souple, non douloureux.

Je sens le vent du drame familial se lever tout doucement ….

Je pense très fort à une histoire d’abus sexuel sur mineur, mais je ne dis rien.

Je préfère avoir confirmation avant.

-Tu ne peux pas être enceinte, Julie ?
-[Regard interrogatif de Julie, du genre « mais de quoi il parle le monsieur ? »]
-Julie, as-tu déjà eu tes règles ?
-MES QUOI ?
-…

Je demande une prise de sang avec des BHCG (test de grossesse)
Et une échographie abdominale.

——

Le résultat de la prise de sang tombe, je suis quasi certains de mon coup.
Et bien NON, elle n’est pas enceinte.

Je suis à la fois rassuré et inquiet.

L’échographie montre ce qui semble être un énorme kyste ovarien qu’il va falloir faire enlever, mais pas dans cet hôpital (pas de pédiatrie ici, et encore moins de chirurgie pédiatrique)
Je téléphone dans le service de pédiatrie le plus proche pour la transférer et la soigner rapidement.

Je suis content, car c’est un cas qui semblait délicat et compliqué, et qui se révèle, au final, plutôt facile à gérer.

——

Je retourne voir Julie et sa maman pour leur annoncer la suite des événements. Le transfert en pédiatrie, la possible intervention chirurgicale etc…

-Mais j’ai une question à vous poser à vous et à Julie …
-Oui ?
-Pourquoi ça ne vous a pas inquiété plus tôt son ventre qui a grossi comme ça ?
-Oh bah moi je pensais que vu qu’elle n’avait pas encore ses règles et bien c’était le sang qui s’accumulait dans son ventre. C’est pour ça, je pensais que c’était normal !

Hmm … pas aussi facile que prévu ce cas …

J’ai donc pris quelques minutes pour expliquer la physiologie féminine à Julie et à sa maman.
On ne sait jamais, si son ventre venait à gonfler de nouveau … dans quelques années.

——

Le kyste ovarien de Julie était un kyste ovarien bénin, mais de taille exceptionnelle.
Tout est bien qui fini bien … et vraiment content de m’être trompé sur ce coup là.